Été 2015, concert hommage aux Beatles avec le groupe The Littles à Chartres. C'est la "grosse" date de l'été : une grosse scène, une grosse sono, un gros public, une grosse ambiance et des signatures de cd à la sortie - à défaut d'avoir un autographe de Paul McCartney, c'est pas mal d'avoir celui d'un mec qui chante ses chansons, non ? NON ! C'est comme si j'allais demander un autographe à l'arrière gauche du Football Club de Velleron parce que je suis fan de Christiano Ronaldo...
En toute fin de séance de dédicaces,
deux fans "historiques" du groupe, qui suivent les Littles
depuis leurs presque débuts (j'ai intégré le groupe 5 mois
auparavant seulement mais les mecs tournent depuis une dizaine
d'années), deux fans donc, débarquent, sabrent le champagne pour
l'anniversaire de l'une d'elles, sortent des gateaux et nous offrent
des petits cadeaux : des porte-clés en forme de guitare avec marqué
"The Beatles" dessus. Attention extrêmement sympathique et
délicate, mais aussi intensément bizarre... Si on transpose la
situation, c'est un peu comme si j'allais voir mon pote qui bosse à
l'usine, il fabrique des merguez, les emballe, et les charge dans des
camions qui desservent les supermarchés de toute l'Europe... Comme
si je l'attendais sur le parking, devant sa voiture, à la sortie de
son service de nuit, vers 7h34. Et que je lui offrais une canette de
Schweppes (il aime bien les bulles), un Twix, et un pin's "On
n'a pas fini de vous faire aimer la viande", juste parce que
c'est MON anniversaire... Bizarre... mais sympa !
À l'époque, 3 concerts sur 4 que je
faisais étaient consacrés aux Beatles. Parfois en costume noir
simple, parfois en perruque mais toujours avec à la sortie
un mec gentil qui venait me voir pour me raconter qu'il avait vu une
fois les Beatles à la télé en 1966, ou qu'il avait bien connu
l'ex-femme du conducteur de bus du promoteur de la tournée écossaise
de 1963 de Rory Storm and the Hurricanes, groupe dans lequel avait
joué Ringo Starr jusqu'en 1961... et mon rôle d'après-concert, mon
service après-vente, consistait à l'écouter en hochant la tête,
en souriant, à pousser quelques exclamations ravies et à le
féliciter de la chance qu'il avait eue de s'être approché à
quelques degrés des Fab Four et de la chance que j'avais de
m'approcher à travers lui de mes idoles, auxquelles je rêvais
depuis toujours de ressembler. Parfois, même après les concerts, on travaille encore...
J'aimais toujours autant les Beatles,
enfin les écouter, mais j'avais aussi le sentiment de trahir leur
musique soir après soir. J'avais de plus en plus de mal à
comprendre l'intérêt d'essayer de reproduire une œuvre d'art à
l'identique, sans radicale réinterprétation parce que sinon, les
gens l'auraient moins reconnue et auraient été moins contents et
seraient moins venus aux concerts et nous, on aurait eu moins de
cachets... Pourquoi aller écouter un groupe qui reprend les Beatles
alors que leur intégrale est disponible à volonté sur Spotify ? Ça
vous viendrait à l'idée de payer une entrée de musée pour voir
une reproduction de Guernica par Aristide Chamblain, menuisier à
Châteauroux et peintre à ses heures perdues ? Bref, en étant
complice de cette médiocrité, mon estime de moi n'était pas au
plus haut et j'avais du mal à m'afficher en fan des Beatles...
C'est pourquoi, sitôt de retour de
Chartres, j'ai offert le porte-clés à ma fille. (si vous ne savez
pas de quel porte-clés je parle, c'est que je me suis trop dispersé,
relisez le deuxième paragraphe et promis, j'arrête de m'égarer...)
Ma fille n'a pas de clés, mais elle
adore les porte-clés. Du coup, elle les accroche entre eux, ça lui
fait des "porte-porte-clés"... Comme jusque-là elle n'en
avait qu'un, elle était ravie du cadeau, il avait enfin une
utilité (le cadeau, et son premier porte-clés).
Ellipse temporelle...
Hier matin, au petit déjeuner, quatre
personnes et un porte-clés autour de la table : ma femme et moi, et
nos deux filles, 5 ans et demi et bientôt 2. Ma fille aînée
s'adresse à sa sœur et moi à elle...
Ma fille : «tu vois, ça c'est un
porte-clés, ça sert à accrocher les clés, il est en forme de
guitare, c'est un porte-clés "Bitolse"»
Moi : «on dit Beatles»
Elle : «Et les Bitolse, c'est le
groupe de musique de Papa !»
À 41 ans, enfin ! Je suis un Beatle !
Ma vie est réussie !
(oui, bon, tous ces discours sur l'art,
l'imitation, l'intérêt artistique, la création, la copie... c'est
utile pour se donner une contenance artistico-intellectuelle, mais
finalement, c'est pas désagréable de se prendre pour McCartney
parfois...)
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