2016-04-20

Concert "offert"



Il n'y a pas si longtemps, j'essayais de défendre mes créations musicales, avec mon groupe. L'un des moyens les plus efficaces pour se faire remarquer, se faire des contacts, s'aguerrir sur scène, trouver des plans... c'est de participer à des tremplins.

Hormis la gratification de la reconnaissance d'un public enthousiaste et alcoolisé, mise à part la satisfaction mégalomaniaque de jouer à la rock-star en se produisant sur de vraies scènes, on y gagne (quand et si on gagne) en vrac des instruments, des enregistrements (pratique pour avoir des démos de qualité et pouvoir franchir un cap dans la recherche de bonnes scènes où jouer), des concerts (souvent des premières parties).

C'est le cas pour ce tremplin dont j'ai aperçu la banderole cet après-midi...

C'est chouette les tremplins, c'est frais, plein de promesses, les musiciens sont purs et jouent pour le partage et la gloire... Mais là, un petit truc m'a fait tiquer : le concert à gagner, au Legend's Valley (en petit et clair sur la banderole). Le Legend's Valley, c'est un bar, restaurant, décoré Harley Davidson, concerts de reprises et boeufs musicaux toutes les semaines.

D'abord, l'intitulé n'est pas très clair...

Première possibilité, les lauréats remportent le droit d'assister à un concert au Legend's Valley, ce qui n'a aucun sens. Quel intérêt d'offrir à de jeunes créateurs de musique un spectacle de reprises, comme au hasard, un tribute Beatles ? Certes, c'est de la qualité, c'est professionnel, mais c'est un peu hors sujet par rapport à la notion de création musicale au centre de la démarche du tremplin...

Deuxième possibilité, les lauréats ont l'opportunité de se produire sur la "mythique" scène du Legend's Valley. Et là, j'aimerais soulever quelques quelques interrogations...

Il est très, très courant de gagner ce type de lot dans un tremplin. Le vainqueur remporte un concert prestigieux (à son échelle), souvent une première partie, dans une vraie salle de spectacle, avec des médias, des professionnels, c'est l'occasion de se faire repérer, de progresser. Mais quel intérêt de choisir le Legend's Valley ? Un lieu qui n'offre pas vraiment de prestige, pas d'exposition médiatique ou professionnelle... Un endroit qui fait son beurre sur de la reprise et du baloche...

En revanche, il est certain qu'en général les prestations des jeunes groupes de création sont peu fréquentes, que les familles, amis, collègues de bureau, copains de classe se passent le mot et viennent soutenir le groupe. Tout le monde se bouge, se déplace, vient faire la claque... et boit des coups, mange un bout. Soudain, on comprend mieux le subit intérêt artistique des mécènes du Legend's Valley : un groupe issu d'un tremplin, qui joue ses compos, c'est bien meilleur pour la recette qu'un groupe de reprises qui joue 150 fois par an et qui ne draine pas autant de monde (ou étalé sur 150 concerts).

Et on ramifie encore en deux alternatives qui ne changent pas fondamentalement l'appréhension du problème, mais qui peuvent la faire passer de "gentille mais maladroite" à carrément obscène :

Premier cas de figure, les musiciens sont rémunérés par le Legend's Valley. Bon, ce n'est pas l'usage courant d'offrir un cacheton en récompense à un tremplin. En général, les organisateurs sont soucieux de l'art et de la création, les récompenses sont dans le même esprit, non pécuniaires. Mais pourquoi pas ? Il n'en reste pas moins que le bénéficiaire de l'opération est clairement l'organisateur, plus que le groupe. Pas vraiment dans l'esprit "tremplin"...

Deuxième cas de figure, les lauréats jouent pour la gloire, gracieusement. Vraiment pas dans l'esprit "tremplin".

Et c'est précisément ce qui m'a fait tiquer, la formule sur la banderole n'est pas juste. Elle fait passer les vrais vainqueurs du tremplin (le Legend's Valley) pour le généreux donateur... Ils auraient mieux fait d'écrire : "un concert offert aux gérants du Legend's Valley par les lauréats du tremplin". Au moins, ça aurait été franc.

Et le pire dans tout ça, c'est que les lauréats seront fous de joie d'avoir la possibilité de se produire sur scène, peu importe le lieu, peu importent les motivations des décideurs, peu importe le degré d'exploitation qu'ils subissent. Et c'est bien qu'ils soient fous de joie et purs et intègres. Ça prouve qu'ils y croient. Mais par ricochet, ça met aussi cruellement en évidence le manque d'intérêt global pour la création artistique. On galère plus à trouver des concerts pour jouer ses compos que pour mal imiter une énième version de Hey Jude... (je sais de quoi je parle)

Je n'ai jamais joué au Legend's, donc je n'ai pas d'historique avec le lieu. Je les ai eus une fois au téléphone, pour démarcher, ils m'ont répondu très gentiment de passer à l'occasion participer au bœuf puis discuter avec eux, chose que je n'ai jamais faite. Je n'ai donc aucune rancœur non plus de ne jamais y avoir joué, je n'ai pas fait ce qu'il fallait pour... Cependant, beaucoup d'amis à moi y ont joué ou y jouent, et sont très contents de leur relation professionnelle avec le Legend's Valley. Tout ça pour dire que je n'ai rien contre le lieu, ni ses gérants, propriétaires, leurs motivations et ambitions artistiques et/ou commerciales... Mais simplement, si ce lieu était si avide de promouvoir la création artistique, pourquoi attendre un tremplin Cultura et changer sa politique de programmation musicale, jusqu'à présent uniquement axée sur les reprises, cover bands, tributes, musique dansante, commerciale... musique pour vendre des bières et des repas.

C'est juste une erreur de casting.

Autre chose : je n'ai rien contre les musiciens qui font du baloche pour l'argent, je l'ai fait, ni contre ceux qui jouent gratuitement leurs créations, pour le plaisir, je l'ai fait aussi, je trouve les deux approches valides et je respecte infiniment ceux qui choisissent l'une ou l'autre de ces options.

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