Il n'y a pas si longtemps, j'essayais de défendre mes créations musicales, avec mon groupe. L'un des moyens les plus efficaces pour se faire remarquer, se faire des contacts, s'aguerrir sur scène, trouver des plans... c'est de participer à des tremplins.
Hormis la gratification de la reconnaissance d'un public enthousiaste et alcoolisé, mise à part la satisfaction mégalomaniaque de jouer à la rock-star en se produisant sur de vraies scènes, on y gagne (quand et si on gagne) en vrac des instruments, des enregistrements (pratique pour avoir des démos de qualité et pouvoir franchir un cap dans la recherche de bonnes scènes où jouer), des concerts (souvent des premières parties).
C'est le cas pour ce tremplin dont j'ai
aperçu la banderole cet après-midi...
C'est chouette les tremplins, c'est
frais, plein de promesses, les musiciens sont purs et jouent pour le
partage et la gloire... Mais là, un petit truc m'a fait tiquer : le
concert à gagner, au Legend's Valley (en petit et clair sur la banderole). Le Legend's Valley, c'est un
bar, restaurant, décoré Harley Davidson, concerts de reprises et
boeufs musicaux toutes les semaines.
D'abord, l'intitulé n'est pas très
clair...
Première possibilité, les lauréats remportent le droit
d'assister à un concert au Legend's Valley, ce qui n'a aucun sens.
Quel intérêt d'offrir à de jeunes créateurs de musique un
spectacle de reprises, comme au hasard, un tribute Beatles ? Certes, c'est de la qualité, c'est professionnel, mais
c'est un peu hors sujet par rapport à la notion de création
musicale au centre de la démarche du tremplin...
Deuxième possibilité, les lauréats
ont l'opportunité de se produire sur la "mythique" scène
du Legend's Valley. Et là, j'aimerais soulever quelques quelques
interrogations...
Il est très, très courant
de gagner ce type de lot dans un tremplin. Le vainqueur remporte un concert prestigieux (à son échelle),
souvent une première partie, dans une vraie salle de spectacle, avec
des médias, des professionnels, c'est l'occasion de se faire
repérer, de progresser. Mais quel intérêt de choisir le Legend's
Valley ? Un lieu qui n'offre pas vraiment de prestige, pas
d'exposition médiatique ou professionnelle... Un endroit qui fait son
beurre sur de la reprise et du baloche...
En revanche, il est certain qu'en
général les prestations des jeunes groupes de création sont peu
fréquentes, que les familles, amis, collègues de bureau, copains de
classe se passent le mot et viennent soutenir le groupe. Tout le
monde se bouge, se déplace, vient faire la claque... et boit des
coups, mange un bout. Soudain, on comprend mieux le subit intérêt
artistique des mécènes du Legend's Valley : un groupe issu d'un
tremplin, qui joue ses compos, c'est bien meilleur pour la recette
qu'un groupe de reprises qui joue 150 fois par an et qui ne draine
pas autant de monde (ou étalé sur 150 concerts).
Et on ramifie encore en deux alternatives qui ne changent pas fondamentalement l'appréhension du problème, mais
qui peuvent la faire passer de "gentille mais maladroite" à carrément
obscène :
Premier cas de figure, les musiciens
sont rémunérés par le Legend's Valley. Bon, ce n'est pas l'usage
courant d'offrir un cacheton en récompense à un tremplin. En
général, les organisateurs sont soucieux de l'art et de la
création, les récompenses sont dans le même esprit, non pécuniaires. Mais pourquoi
pas ? Il n'en reste pas moins que le bénéficiaire de l'opération
est clairement l'organisateur, plus que le groupe. Pas vraiment dans
l'esprit "tremplin"...
Deuxième cas de figure, les lauréats
jouent pour la gloire, gracieusement. Vraiment
pas dans l'esprit "tremplin".
Et c'est précisément ce qui m'a fait
tiquer, la formule sur la banderole n'est pas juste. Elle fait
passer les vrais vainqueurs du tremplin (le Legend's Valley) pour le
généreux donateur... Ils auraient mieux fait d'écrire : "un concert
offert aux gérants du Legend's Valley par les lauréats du tremplin".
Au moins, ça aurait été franc.
Et le pire dans tout ça, c'est que les
lauréats seront fous de joie d'avoir la possibilité de se produire
sur scène, peu importe le lieu, peu importent les motivations des
décideurs, peu importe le degré d'exploitation qu'ils subissent. Et
c'est bien qu'ils soient fous de joie et purs et intègres. Ça prouve qu'ils y croient. Mais par ricochet, ça met aussi cruellement en évidence le manque d'intérêt global pour la
création artistique. On galère plus à trouver des concerts pour
jouer ses compos que pour mal imiter une énième version de Hey
Jude... (je sais de quoi je parle)
Je n'ai jamais joué au Legend's, donc
je n'ai pas d'historique avec le lieu. Je les ai eus une fois au
téléphone, pour démarcher, ils m'ont répondu très gentiment de
passer à l'occasion participer au bœuf puis discuter avec eux,
chose que je n'ai jamais faite. Je n'ai donc aucune rancœur non plus
de ne jamais y avoir joué, je n'ai pas fait ce qu'il fallait pour...
Cependant, beaucoup d'amis à moi y ont joué ou y jouent, et sont
très contents de leur relation professionnelle avec le Legend's
Valley. Tout ça pour dire que je n'ai rien contre le lieu, ni ses
gérants, propriétaires, leurs motivations et ambitions artistiques
et/ou commerciales... Mais simplement, si ce lieu était si avide de
promouvoir la création artistique, pourquoi attendre un tremplin
Cultura et changer sa politique de programmation musicale, jusqu'à
présent uniquement axée sur les reprises, cover bands, tributes,
musique dansante, commerciale... musique pour vendre des bières et
des repas.
C'est juste une erreur de casting.
C'est juste une erreur de casting.
Autre chose : je n'ai rien contre les
musiciens qui font du baloche pour l'argent, je l'ai fait, ni contre
ceux qui jouent gratuitement leurs créations, pour le plaisir, je
l'ai fait aussi, je trouve les deux approches valides et
je respecte infiniment ceux qui choisissent l'une ou l'autre de ces options.
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