2015-01-26

Des œufs, des paniers

La semaine dernière, je suis parti au ski en famille, mais comme un grand, avec ma famille à moi : avec ma femme, on a chargé la voiture, installé le porte-skis sur le toit, embarqué les enfants à l'arrière et en route !

Souvent c'est lorsqu'on vit des situations d'"adultes" pour la première fois que l'on se rapproche d'un coup de nos parents, comme si la similarité entre ce que nous vivons aujourd'hui avec nos propres enfants et ce qu'ils ont vécu il y a longtemps avec nous créait un lien, une tacite solidarité. Les vieux conflits d'enfance se règlent ainsi parfois une fois adultes, éclairés que nous sommes par notre propre expérience de parents.

Mais dans le cas présent, pas du tout !

Le fait d'être tous les quatre dans la voiture m'a simplement rappelé un trajet particulier, alors que je devais avoir dix ans. D'habitude, nous nous entassions à six dans la Renault 30, les parents devant, les enfants derrière, deux allongés sur la banquette, un par terre et un sur la plage arrière. Sans ceinture bien sûr, les exigences en matière de sécurité n'étant pas aussi draconiennes que de nos jours, celles concernant la vitesse et l'alcoolémie non plus, d'ailleurs. Et puis, si nous échappions à une agonie rapide par collision, nous en risquions une plus lente par tabagisme passif. Ah ! Le parfum des cigarettes qui emplissait mes rêves lors des départs en vacances nocturnes. Aujourd'hui encore, je suis certain que j'associerais un bon nuage de fumée de Celtiques à l'ivresse de la vitesse lors d'un schuss de fin de piste rouge en station de sports d'hiver...

Quoiqu'il en soit, ce jour-là, curieusement, mon frère et moi avions pris la voiture avec mon père alors que ma mère était partie en train avec les deux plus jeunes. Mon père m'avait dit, en croyant faire le malin : "Eh oui, moi, je ne mets pas tous mes œufs dans le même panier !" L'expression m'avait laissé perplexe. Non seulement parce que mon père mettait bien plus souvent qu'il ne le disait tous ses œufs dans le même panier, mais aussi parce qu'hier comme aujourd'hui j'ai du mal à en saisir la validité.

Deux stratégies s'opposent ici et je ne parviens pas à déterminer laquelle prend l'ascendant sur l'autre. Soit on met tous ses œufs dans le même panier, et on prend le risque de tout perdre d'un seul coup. Horrible. Soit on divise les pertes potentielles en multipliant les paniers, mais on multiplie aussi la probabilité d'une perte partielle par le nombre de paniers. On va risquer de casser la moitié de ses œufs deux fois plus souvent, ou le tiers trois fois plus souvent... Horrible aussi, surtout pour les œufs des paniers saufs qui devront gérer peine (oui, les œufs ont des sentiments aussi) et culpabilité de faire partie des survivants... Si on ajoute à tout ça le fait ou non pour celui qui choisit la stratégie, de s'inclure ou pas dans le panier, et de choisir son panier (avec quels autres œufs l'œuf en chef préfère-t-il éventuellement survivre ?), la responsabilité et les implications du choix stratégique fait par mes parents à l'époque, et par moi maintenant me donne le vertige.

Conclusion : après avoir longuement soupesé tous ces arguments et écopé d'une migraine, j'ai préféré contourner le problème de l'optimisation du nombre d'œufs cassés en me concentrant sur des variables plus simples à manier comme la vitesse, les distances de sécurité et le choix de la station de radio. D'ailleurs, j'attends toujours une étude scientifique sur la dangerosité routière, démagogique et intellectuelle comparée de Chérie FM, Rire et Chansons, RCF et RMC...

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