L'air était plus frais sur le seuil.
Il restait là, en caleçon, à profiter de la brise nocturne et du
chant des rossignols, et à
tirer doucement sur la cigarette. Ils avaient fait l'amour
intensément, à grandes goulées, lentes et profondes, joui
plusieurs fois et de plus en plus
fort, comme s'ils se connaissaient
toujours plus intimement au fur et à mesure. Il s'était
senti en phase avec l'univers et tentait à présent de prolonger la
sensation.
Elle dormait à l'intérieur. Dans le
jardin flottaient encore quelques volants de sa robe, qui s'étaient
détachés sous la pluie lorsqu'il l'avait portée en courant de la
voiture à la maison deux heures plus tôt. Mariage plus vieux,
mariage heureux. Il y croyait. Ça n'allait pas radicalement changer
leur vie de toute façon. Vingt
ans côte à côte, une fille
de dix-neuf ans, le caractère de sa mère et le visage de son père. Vingt ans et toujours
plus de projets et d'envies que de temps et d'argent pour les
réaliser. Vingt ans et beaucoup de peines, mais plus de joies
encore. Vingt ans mais depuis toujours unis, depuis toujours
inconscients, depuis toujours enthousiastes.
Elle l'appela. De l'extérieur, sa voix
lui parut mal assurée, un peu tremblante. Sûrement un mauvais rêve,
de ceux du premier sommeil, qui succèdent aux journées trop pleines
d'émotions.
Il rentra.
Dans la semi-obscurité de la chambre,
elle lui tournait le dos, assise sur le lit, légèrement voûtée.
Elle portait toujours ce même vieux t-shirt pour dormir, troué et
délavé, qu'elle avait déjà au matin de leur première nuit.
« Tout va bien mon amour ? »
Elle tourna la tête dans sa direction,
son profil découpé par l'éclat de la lune à travers la fenêtre
ouverte. La pénombre rallongeait
son nez et faisait tressaillir son menton lorsqu'elle répondit :
« Oui, je me suis réveillée, tu
n'étais pas là, je me suis inquiétée, c'est tout. Tu pourrais
m'apporter un verre d'eau, s'il te plaît ? J'ai oublié de le
prendre en me couchant. »
En passant devant la salle de bains, il
s'aperçut qu'elle avait posé le fauteuil du piano, un vieux
tabouret en bois, en plein milieu de la cabine de douche.
« Qu'est-ce qu'il fout dans la
douche, le siège du piano ?»
Il revint de la cuisine sans qu'elle
eût répondu.
Elle lui tendit faiblement le bras pour
attraper le verre. Elle avait maigri. Sa peau plissait
sous le coude et sa main peinait à contenir
ses doigts. Elle but bruyamment et lui rendit le verre.
Il se coucha à
côté d'elle et par habitude jeta un coup d’œil au réveil
sur la table de nuit. Son
regard fut attiré par un
cadre qu'il ne connaissait pas. La photo semblait récente et
montrait leur fille qui posait, souriante, un verre dans une main,
une cigarette dans l'autre, devant la maison. Quelque chose clochait
pourtant et il lui fallut allumer la lumière pour réaliser que le
mûrier devant la fenêtre du salon,
celui contre lequel il venait tout juste d'écraser sa cigarette,
avait disparu.
Sans quitter la photo des yeux, il
dit :
« Elle est incroyable cette
photo...
- Oui, c'est fou, c'est vraiment le
portrait de sa mère ! »
Il se retourna lentement vers son
épouse, pour être sûr...
Allongé sur le flanc, son corps ne se
devinait pas sous les draps.
Une main tachée était sagement posée sur la couverture, l'autre
sous sa tête. Leurs regards se croisèrent. Elle était belle. Ses
cheveux blanchis s'étalaient sur l'oreiller. Ses traits s'étaient
épaissis, ses pommettes creusées, les rides sillonnaient son visage
et convergeaient vers ses yeux,
maintenant adoucis, dilués comme une ancienne
aquarelle. Elle avait pourtant le
même regard doux et
fataliste que lors de leur première nuit, comme si elle
savait déjà alors tout ce qui suivrait.
Une immense lassitude l'envahit. Il la
prit dans ses bras.
La
gorge nouée, il lui demanda en essayant de contrôler le
tremblement de sa voix :
« Tu m'aimes encore, après
toutes ces années ?
- Plus encore après toutes ces
années ! Tu as pris quelques kilos et un paquet de rides, perdu
pas mal de cheveux, mais c'est toujours toi, toi et moi, depuis
toujours... Comme si tu ne le savais
pas !
- C'est passé vite quand même... »
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