2016-05-08

La visite médicale


Ça devait se passer en 1982... ou 83. Un matin d'hiver, un mardi, la maîtresse nous avait donné un mot photocopié, à l'attention de nos parents, qui disait à peu près : "Une visite médicale scolaire aura lieu mardi prochain, merci d'apporter le carnet de santé de votre enfant, ainsi qu'un flacon d'urine pour analyses."

Dès la récréation suivante, les rumeurs commençaient à courir...

"Tu crois qu'ils vont nous faire des piqûres ?
– Ça dépend, si t'es à jour de tes vaccins, non, c'est pour ça qu'ils demandent le carnet de santé ! Si t'as pas les rappels, ils te piquent..."

Retour à la maison le midi et questions angoissées posées à ma mère : "ils peuvent me faire un vaccin ? Je suis à jour, moi ? Regarde dans le carnet de santé steplait ! Et si c'est pas à jour, on peut écrire dans le carnet que si ? Allez regarde steplait !"

Réponses apaisantes de ma mère : "non, ils ne vous vaccineront pas. Au pire, il te feront la cuti...
– Et c'est quoi la cuti ?
– Une cuti-réaction c'est pour voir si tu es bien vacciné ou pas.
– Et ça marche comment ?
– C'est une piqûre, mais pas comme un vaccin..."

La nuit suivante, je dormais mal... "pas comme un vaccin"... mais comment alors ? Une piqûre... Peut-être pire qu'un vaccin. Et si en plus, je ne vire pas ma cuti, après ils me vaccinent derrière ? (oui, dans les années 80, j'étais innocent, certains double-sens de la langue française m'échappaient encore.)

Le mercredi matin à l'école, ce n'étaient plus les seringues qui nous stressaient, mais les rumeurs de palpations :
"Il paraît qu'ils te tâtent les glaouis (dans les années 80 en Bourgogne, on disait "glaouis"...)
– Pourquoi ?
– Pour voir si elles sont bien descendues (imaginez ma surprise en apprenant que mes "glaouis"pouvaient descendre, ou monter... et le self-control qu'il m'a fallu déployer pour ne pas laisser paraître mon ignorance du sujet à mes camarades, qui étaient d'ailleurs probablement eux-mêmes dans le même état d'esprit paniqué dedans-assuré dehors que moi)
– Moi je m'en fous, personne me touche les glaouis !
– Et comment tu vas faire, quand tu vas être en slip devant le médecin et qu'il va te demander de le descendre, tu vas refuser ? (oui, dans les années 80, on portait des slips)
– Oui, mais non, enfin, il peut pas, si ?"

Ce soir-là, je n'osais pas poser la question à ma mère, j'avais trop peur qu'elle me réponde un truc du genre, ne te fais pas de souci, la vérification testiculaire se fait par cuti-réaction... S'ensuivit une nouvelle nuit au sommeil troublé.

Toute la semaine ce fut la même routine : rumeurs ("ils font des prises de sang ! Et après t'es tellement faible que tu tombes dans les pommes"), angoisses, tentatives désespérées de donner le change devant les copains, sueurs froides constantes... et surtout prières pour tomber malade le jour de la visite médicale, être trop fiévreux pour aller à l'école. La nuit précédant la visite, à force de volonté et d'auto-conviction, je pouvais presque sentir ma température monter degré par degré... j'y ai cru jusqu'au petit matin, où je dus me rendre à l'évidence, j'allais très bien...

Et c'est là que mon souvenir devient vraiment gênant. À la maison, nous n'avions pas de flacon dédié à la collecte d'urine (c'étaient les années 80, souvenez-vous, on n'avait même pas le minitel à l'époque ! La préhistoire, je vous dis !) J'ai donc utilisé ce que nous avions sous la main, une bouteille plastique quelconque...

En arrivant en classe, c'est en regardant les petits flacons élégants que mes camarades avaient posés sur leur pupitre que j'ai pris conscience de l'incongruité de ma bouteille 1,5 litre de Banga orange, remplie d'urine aux deux tiers (ils avaient dit à jeun, soit au réveil, et au réveil, ma vessie était pleine !)

Un copain m'a vanné gentiment : "Hey Xav, t'avais pas plus petit comme bouteille ?" Éclat de rire général... Comme en ce temps-là, j'avais déjà développé un sens certain de la répartie, j'avais répliqué par un cinglant : "euh, non", rougi et baissé la tête.

Pour conclure sur le déroulement de la visite médicale, elle s'est soldée par un passage en slip et chaussettes devant le médecin, une application de stéthoscope sur la poitrine, une sur le dos, toise, balance... et c'est tout ! Et mon soulagement conséquent a fait de la récréation de 10h la meilleure de toute ma scolarité.

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