Ça devait se passer en 1982... ou 83.
Un matin d'hiver, un mardi, la maîtresse nous avait donné un mot
photocopié, à l'attention de nos parents, qui disait à peu près :
"Une visite médicale scolaire aura lieu mardi prochain, merci
d'apporter le carnet de santé de votre enfant, ainsi qu'un flacon
d'urine pour analyses."
Dès la récréation suivante, les
rumeurs commençaient à courir...
"Tu crois qu'ils vont nous faire
des piqûres ?
– Ça dépend, si t'es à jour de tes
vaccins, non, c'est pour ça qu'ils demandent le carnet de santé !
Si t'as pas les rappels, ils te piquent..."
Retour à la maison le midi et
questions angoissées posées à ma mère : "ils peuvent me
faire un vaccin ? Je suis à jour, moi ? Regarde dans le carnet de
santé steplait ! Et si c'est pas à jour, on peut écrire dans le
carnet que si ? Allez regarde steplait !"
Réponses apaisantes de ma mère :
"non, ils ne vous vaccineront pas. Au pire, il te feront la
cuti...
– Et c'est quoi la cuti ?
– Une cuti-réaction c'est pour voir
si tu es bien vacciné ou pas.
– Et ça marche comment ?
– C'est une piqûre, mais pas comme
un vaccin..."
La nuit suivante, je dormais mal...
"pas comme un vaccin"... mais comment alors ? Une piqûre...
Peut-être pire qu'un vaccin. Et si en plus, je ne vire pas ma cuti,
après ils me vaccinent derrière ? (oui, dans les années 80,
j'étais innocent, certains double-sens de la langue française
m'échappaient encore.)
Le mercredi matin à l'école, ce
n'étaient plus les seringues qui nous stressaient, mais les rumeurs
de palpations :
"Il paraît qu'ils te tâtent les
glaouis (dans les années 80 en Bourgogne, on disait "glaouis"...)
– Pourquoi ?
– Pour voir si elles sont bien
descendues (imaginez ma surprise en apprenant que mes
"glaouis"pouvaient descendre, ou monter... et le
self-control qu'il m'a fallu déployer pour ne pas laisser paraître
mon ignorance du sujet à mes camarades, qui étaient d'ailleurs
probablement eux-mêmes dans le même état d'esprit paniqué
dedans-assuré dehors que moi)
– Moi je m'en fous, personne me
touche les glaouis !
– Et comment tu vas faire, quand tu
vas être en slip devant le médecin et qu'il va te demander de le
descendre, tu vas refuser ? (oui, dans les années 80, on portait des
slips)
– Oui, mais non, enfin, il peut pas,
si ?"
Ce soir-là, je n'osais pas poser la
question à ma mère, j'avais trop peur qu'elle me réponde un truc
du genre, ne te fais pas de souci, la vérification testiculaire se
fait par cuti-réaction... S'ensuivit une nouvelle nuit au sommeil
troublé.
Toute la semaine ce fut la même
routine : rumeurs ("ils font des prises de sang ! Et après t'es tellement faible que tu tombes dans les pommes"), angoisses, tentatives désespérées de donner le
change devant les copains, sueurs froides constantes... et surtout
prières pour tomber malade le jour de la visite médicale, être
trop fiévreux pour aller à l'école. La nuit précédant la visite,
à force de volonté et d'auto-conviction, je pouvais presque sentir
ma température monter degré par degré... j'y ai cru jusqu'au petit
matin, où je dus me rendre à l'évidence, j'allais très bien...
Et c'est là que mon souvenir devient
vraiment gênant. À la maison, nous n'avions pas de flacon dédié à
la collecte d'urine (c'étaient les années 80, souvenez-vous, on
n'avait même pas le minitel à l'époque ! La préhistoire, je vous
dis !) J'ai donc utilisé ce que nous avions sous la main, une
bouteille plastique quelconque...
En arrivant en classe, c'est en
regardant les petits flacons élégants que mes camarades avaient
posés sur leur pupitre que j'ai pris conscience de l'incongruité de
ma bouteille 1,5 litre de Banga orange, remplie d'urine aux deux
tiers (ils avaient dit à jeun, soit au réveil, et au réveil,
ma vessie était pleine !)
Un copain m'a vanné gentiment : "Hey
Xav, t'avais pas plus petit comme bouteille ?" Éclat de rire
général... Comme en ce temps-là, j'avais déjà développé un
sens certain de la répartie, j'avais répliqué par un cinglant :
"euh, non", rougi et baissé la tête.
Pour conclure sur le déroulement de la
visite médicale, elle s'est soldée par un passage en slip et
chaussettes devant le médecin, une application de stéthoscope sur
la poitrine, une sur le dos, toise, balance... et c'est tout ! Et mon
soulagement conséquent a fait de la récréation de 10h la meilleure
de toute ma scolarité.
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