2014-09-07

De l'utilisation des articles pour écouler les produits

J'ai remarqué que, depuis quelques années maintenant, dans certains slogans publicitaires, les articles définis avaient disparu. Ce phénomène est particulièrement observable dans l'industrie automobile et on entend souvent des phrases du genre : "Du 3 au 7 janvier, venez découvrir Nouvelle Clio chez votre concessionnaire Renault"
À mon avis, l'objectif (mal) caché des agences de communication responsables de ces pubs est de donner une personnalité au produit en changeant un nom générique en nom propre. Sauf qu'en enlevant un article, on a l'impression d'entendre une faute de français et ça devient très dérangeant !

Comme ce mouvement semble parti pour durer, il est possible qu'on y prête de moins en moins attention, et que d'ici peu la formulation soit naturelle à nos oreilles (sauf que notre environnement immédiat et nos habitudes ne déteignent pas forcément sur notre façon de parler, même si c'est ce que les publicitaires ils croivent.) Dans cette attente, je ne perçois pas encore Nouvelle Clio comme une entité autonome, ou comme un personnage réel et elle ne m'est pas plus sympathique que LA vieille Clio. En revanche, je perçois bien le fait d'être manipulé, ce qui ne rend pas Nouvelle Clio plus attrayante non plus.

 


Dans la publicité et le choix des noms de produits toujours, on assiste d'ailleurs aussi depuis quelque temps au phénomène inverse : le rajout d'un article défini pour transformer un produit plutôt commun en article unique. Par exemple, "LE fromage blanc moulé à la louche". Si en plus on rajoute "de ma grand-mère", alors là, le produit devient non seulement unique mais aussi pourvoyeur d'un bonheur oublié et sublimé, d'un paradis perdu, alors que dans la pratique, il serait juste périmé. On part du postulat évident que c'était mieux avant, quand la vie était plus simple, qu'on prenait le temps de vivre, qu'on savait se contenter de peu et être heureux... "Faut dire aussi qu'à l'époque qu'on vit, avec la crise, c'est pas facile, c'était plus simple pour notre génération..." Mais la crise dure depuis 40 ans, toute ma vie, on m'a répété qu'on y était en plein, dans la crise. En ce moment, tout le monde est nostalgique des années 80, époque bénie où l'on savait faire de la bonne musique par exemple (ironie) sauf qu'il y a dix ans, les années 80 étaient pourries, les années 70 le paradis, et qu'on était encore et déjà en plein dans la crise... Si vous sentez une pointe de cynisme dans mon discours, vous ne vous trompez pas.


Autre procédé plus subtil pour "sublimer le produit" (copyright Master Chef 2014) : en faire des caisses. On peut par exemple utiliser des noms d'ingrédients improbables. Là, c'est les shampooings les champions !

(Répétez cette phrase à haute voix 10 fois d'affilée pour un effet comique. La phrase avec "shampooings" dedans, pas la phrase avec "10 fois d'affilée", quoique...)

Le truc ultime, c'est de citer deux ingrédients improbables parce que un seul, c'est cheap, mais trois, c'est trop. Et non, le paraben n'est plus un ingrédient improbable depuis 2011...


On peut aussi rajouter la provenance des ingrédients, pour augmenter l'authenticité. Une origine exotique est souhaitable, à défaut, une provenance très spécifique pourra faire l'affaire. Exemple : "Le gel de toilette intime aux extraits de noyaux d'olives du Champsaur" (pas de photo, produit en rupture de stock). Remarquez au passage l'usage combiné de la provenance et de l'article défini, pour une puissance de communication démultipliée.

Mais la résistance s'organise ! Il est possible de s'affranchir de toute cette complexité, de revenir aux ingrédients basiques et provenances locales si chères aux bourgeois bohême ! Il suffit de jouer sur la proximité producteur-consommateur, d'abolir les intermédiaires, de commercer équitablement enfin. Il suffit simplement de s'appeler par nos prénoms.


(Notez ici l'usage subtilement terroir de la pseudo écriture à la main !)

Là aussi, on observe une optimisation du chiffre d'affaires avec deux prénoms. Un seul, et on visualise un agriculteur de l'Amour est dans le Pré peu vendeur, trois et on imagine tout de suite une communauté hippie aux mœurs déviantes. Et si on prend deux prénoms de même sexe, ça ne marche pas non plus. Le mariage pour tous c'est bien, mais pas encore vendeur...


(À ce propos et sans rapport avec la photo ci-dessus, la pertinence de la technique commerciale des deux prénoms de sexes différents a récemment été illustrée avec brio dans d'autres domaines que l'alimentaire, comme le partage de vidéos.)

Pour résumer, rien de nouveau, nous sommes manipulés par la publicité et le packaging. Seulement, c'est un peu trop visible à mon goût. J'apprécie d'être pris pour un con avec élégance, sans que je m'en rende compte...

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