2008-03-18

Le Tournant

Avignon, le 20 mai 2007

Je suis seul chez moi, c’est le début du printemps. Par la fenêtre ouverte, j’entends l’album de Mika qui passe chez les voisins, le carton du mois de mai. Une mélancolie sans fond m’envahit, annihilant mes espoirs de changement (ré)apparus quelques jours auparavant.


LE tournant de ma vie devait avoir eu lieu une semaine avant, né de la combinaison matérielle et spirituelle de la commande d’un nouvel ordinateur portable et de la lecture de Broken Music, l’ "autobiographie" de Sting. Rarement me suis-je autant identifié à un auteur. Dans le livre, Sting raconte ses débuts de musicien, sa période pré-succès planétaire. Il décrit les plans qu’il ne garde que pour l’argent, les doutes quant à sa capacité à percer. Il dépeint les vieux routards du circuit piano-bar qui n’osent pas se remettre en question et en danger, trop accrochés à leurs cachets modestes mais réguliers, ceux-là même que je rencontre à court d’année, ceux-là même dont je réalise faire partie dans les moments où je veux bien retirer les mains de devant mes yeux et regarder ma vie en face.

J’aurai 32 ans dans un mois, ça fait plus de 6 ans que la musique est devenue un métier, que le rêve, petit à petit et de plus en plus, a cédé sa place au souci de gagner sa vie correctement. C’est sûr qu’il n’est pas incompatible de faire des plans pour l’argent et de continuer à développer son côté personnel, celui qui fera la différence le moment venu. Mais dans la pratique, on s’endort facilement dans le confort rassurant de la reprise, d’autant plus que l’opposition reprises-travail et composition-plaisir n’est pas aussi tranchée que ça, nombreux sont les moments de pur plaisir dans le "travail" de tous les jours.

Il y a une semaine, je me suis donné une énième claque et, motivé par l’idée de pouvoir composer et enregistrer sans souci des contingences matérielles, j’ai commandé un ordinateur portable et une carte-son state-of-the-art par internet. Voilà le tournant. Certes, beaucoup l’ont précédé, mais celui-là (ou le prochain ?) sera le bon, j’en suis convaincu.

J’en étais convaincu. Ne serait-ce pas le retour du "syndrome de l’écolier" ? Celui qui a besoin d’un nouveau bureau, de nouvelles étagères, de cahiers et classeurs flambant neufs, d’une boîte de crayons de couleurs à 52 nuances et d’un nécessaire à géométrie qui ne servira finalement qu’à souligner les titres des matières en haut de ses compositions. Une fois le matériel acquis, il passera une grosse demi-journée à le disposer de la manière la plus adéquate à son futur labeur, et une plus petite à l’admirer, puis trop fatigué pour commencer le jour même, il ira s’abrutir devant la télé. Le lendemain, le charme de la nouveauté aura disparu et il ne travaillera ni plus ni moins ni mieux qu’avec l’ancien.

Peu importe. Quoiqu’il arrive, je vais continuer à avancer, à travailler, à m’améliorer, à devenir fidèle à ce que je sais être au fond. Je vais faire l’effort de faire ressurgir ce qui est naturel et que j’ai oublié. Je vais réapprendre à voler.

Je vais commencer par écrire et enregistrer mes chansons, sans plus attendre qu’elles soient les meilleures du monde (quelle illusion !), en me contentant qu’elles me plaisent. Il faudra laisser tomber les jalousies inutiles envers ceux qui écrivent mieux, chantent mieux, sont meilleurs, plus beaux… tant mieux pour eux ! L’important c’est mon plaisir à faire les choses. Si je prends du plaisir en chemin, la destination n’importe plus. Dans Broken Music Sting disait à peu près : "si à l’arrivée personne ne me connaît, au moins je me connaîtrai moi-même."

C’est un sacré tournant finalement, et je ne suis pas sûr d’arriver à laisser tomber mes vieilles habitudes. Jusqu’ici, je n’ai apprécié le parcours qu’à travers le regard des autres. Du coup, toute satisfaction est éphémère, et le plaisir est absent la plupart du temps.

La seule chose à laquelle j’aspire vraiment aujourd’hui (ou plutôt à laquelle je veux aspirer vraiment), c’est retrouver la joie naturelle, personnelle, intérieure et sans calcul que je connaissais enfant. Cette joie que je n’ai connu que fugacement depuis que je suis adulte. Cette joie dont les dernières manifestations soutenues ont eu lieu à l’adolescence, le walkman sur les oreilles, tard dans la nuit, à écouter et réécouter les Beatles, à chaque fois simplement transporté par la musique, sans envie ni projection, une joie enfantine et oubliée. J’ai peur de n’avoir pas trop du restant de ma vie pour y arriver, et en même temps, peu importe le chemin à parcourir pour parvenir à apprécier le chemin, pour autant qu’ici aussi j’y prenne du plaisir.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Franchement, tu écris toujours aussi bien et pas que tes chansons !
32 ans oui mais un sacré bagage musical. Et je te le confirme, tu retrouveras tes moments de naiveté et de joies d'enfant mais ils se trouvent à mon avis dans des plaisirs simples, des instants volés comme des ciels étoilés, un soufle d'air chaud d'été, mais je m'égare car chacun à ses propres délices ordinaires.Regarde en quelques années ce que tu as accompli, ses compositions, ses concerts plus nombreux alors qu'il y a de cela peu de temps jamais je n'aurais cru pouvoir les entendre. Pas parc que je ne crois pas en toi mais parce que toi tu ne croyais pas assez en toi. Mais tu es sur la bonne voix et comme à l'air de le dire sting et ce que je te dirais de haut de mes 25 ans, FONCE, DECHIRE TOUT, ECRIT, COMPOSE, pour toi et aprés pour les autres. Si cela te plait que tu y mets tout ce que tu ressens cela plaira aussi AU RESTE DU MONDE
UNE Amie de Longue date d'époque RED LION EN FOLIE