2012-09-26

Turquetto et Cunningham

J'ai fini il y a quelques jours Le Turquetto, un roman de Metin Arditi. Le Turquetto est un peintre, aujourd'hui tombé dans l'oubli, dont la vie se déroule entre Constantinople et Venise au XVIè siècle.

La première partie est vive, se lit rapidement, presque sans y prendre garde, sans non plus laisser une impression tenace. La deuxième partie, pareil, mais on commence à être pris dans l'intrigue et entraîné par le style, à notre insu. Puis on dévore la suite et on finit le livre à regret, et une semaine après, il continue de vivre en nous, autonome, et à nous hanter la nuit...

Un autre livre que je viens de terminer m'a marqué mais différemment : Le Livre des Jours de Michael Cunningham. A la différence du Turquetto, j'ai eu conscience d'être happé et transformé par celui-ci dès les premières pages.

J'ai acheté le livre aux puces, par hasard, juste intrigué par la quatrième de couverture et il est possible que le plaisir que j'ai eu à le lire ait été augmenté par la quasi ignorance de ce que j'allais y découvrir justement.

Michael Cunningham a écrit il y a plus de 15 ans Les Heures, l'histoire de 3 femmes qui vivent à des époques différentes, liées entre elles par le roman de Virginia Woolf, Mrs Dalloway. Il y avait eu une adaptation cinématographique qui avait cartonné et dont j'avais vu, il me semble, les 20 premières minutes, avant de m'endormir... Si je m'étais rappelé cela en attrapant Le Livre des Jours dans l'étal, jamais je ne l'aurais acheté. Encore une confirmation que les livres sont souvent meilleurs que les adaptations au cinéma. Et puis ça me fait penser aussi de ne plus juger un auteur sur un film tiré d'un de ses romans. D'ailleurs, je pense que je vais rapidement aller acheter Les Heures et le lire. Et Mrs Dalloway aussi, vu l'attrait qu'exerce sur moi le Stream of Consciousness depuis que j'ai lu La Ville et les Chiens de Mario Vargas Llosa... mais là je m'égare en me la pètant un peu, c'est vrai...

Bref, sans vous raconter l'histoire, Le Livre des Jours est encore divisé en 3 parties, avec 3 personnages principaux différents à chaque fois et vivant à des époques différentes, mais reliées entre elles par pas mal de choses comme New York, un bol, des prénoms similaires, Whitman et beaucoup d'autres plus subtiles que je n'ai pas fini de démêler (le bonheur des livres qui continuent de se lire en esprit longtemps après qu'on les ait refermés !)

La première partie se déroule dans le New York de la Révolution Industrielle. C'est sombre, oppressant, tragique, et en même temps poétique et lumineux. La deuxième partie est un thriller terroriste, toujours sur le fil entre suspense et onirisme et la troisième partie est de la science-fiction, mais pas celle stéréotypée dans laquelle l'auteur commence son récit par 3 phrases remplies des mots inventés qui sonnent sci-fi pour bien planter le décor (« Ce matin-là, en se réveillant, il alluma son holotorp afin de vérifier la lumitech. Rien n'avait bougé. Encore une journée à grésiller des neurosynapses sous les trois soleils de Barichda-34 ») Au contraire, tout au long du roman, l'écriture est fluide et naturelle, changeante et adaptée à chaque style littéraire, mais l'ensemble est d'une cohésion troublante qu'on ne perçoit vraiment qu'une fois le livre terminé.

La poésie est omniprésente, par le biais de citations de Whitman, dans la perception qu'ont les personnages de leur environnement, mais surtout dans l'écriture de Michael Cunningham. Parfois même, et surtout dans la première partie, la simple sonorité des mots employés participe presque plus à l'atmosphère que le sens des phrases, le son donne plus de signification que le fond. (j'ai lu le livre en français, il faudrait le lire en VO pour préciser tout ça, mais quoiqu'il en soit, la traduction est géniale, merci Anne Damour)

Quant au fond justement, tous les personnages sont complexes, plus ou moins en fuite, en crise, on ne sait rapidement plus vraiment qui sauve qui, ni comment, ni pourquoi, on se retrouve en tête à tête avec l'émotion, comme devant un tableau. (justement ça me fait penser au Cri de Munch, j'ai été happé par le roman, comme par ce tableau, sans vraiment tout comprendre au niveau du sens, c'était de l'émotion pure...)

En lisant Le Livre des Jours, je me suis justement souvenu de l'émotion que j'avais ressentie en lisant les dernières pages de Lunar Park de Bret Easton Ellis. Des mots et des phrases qui ont un sens, mais dont la juxtaposition donne encore plus de sens que leur signification immédiate. J'ai conscience de parler d'émotion pure, et donc difficile à retranscrire d'une part, difficile à faire partager d'autre part. Il est probable que vous ne serez pas touchés par les mêmes oeuvres d'art que moi et pas de la même manière, mais bon...

En parlant de Lunar Park (que je vais sûrement relire bientôt aussi du coup, tiens !), c'est de l'autofiction. Le héros du roman a le même nom, les mêmes amis, la même vie que l''auteur du livre. On croirait presque que l'auteur raconte sa propre vie. Mais non, pas du tout ! Et encore moins dans Lunar Park qui part « un peu » dans le fantastique. Mais ça me fait penser à la première question de toutes les interviews d'auteurs qu'on entend à la radio ou à la télé : « Quelle est la part d'autobiographie dans ce roman ? Qu'est-ce qui est vrai ? » La question la plus absurde et énervante du monde.

Quatre réponses pour en finir avec ça (toutes plus ou moins la même à l'arrivée) :
  • La note de Michael Cunningham au début du Livre des Jours (éditions Pocket)
  • La préface du Monde selon Garp de John Irving (éditions Points, préface de 1998 par John Irving)
  • L'épigraphe du Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonasson : « Ceux qui ne savent raconter que la vérité ne méritent pas qu'on les écoute. »
  • Et aussi la mienne : « on s'en fout, ce n'est pas parce que le téléfilm de l'après-midi sur M6 est « basé sur des faits réels » qu'il en devient bon ! »

« Mais le Turquetto, il a vraiment existé, dis ? »

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