3h32, dans la nuit du 24 au 25 octobre, je me réveille pour la quatrième fois, à la sortie des mêmes rêves bizarres qui se répètent sans fin, avec la même nausée, la même bouche pâteuse que les trois fois précédentes. Tout est calme dans la pièce, je descends doucement du lit du haut pour constater que le bébé dort toujours et n'a pas froid. Elle n'a même pas changé de position, insensible à la tempête qui rugit au-dehors. Par la fenêtre, j'aperçois de faibles lumières au loin, sûrement l'Italie. Tout est noir par ailleurs et je ne parviens à évaluer les distances et le relief qu'à l'éclat sombre des tâches d'écume à la surface de l'eau. Les mouvements du bateau et de la mer, incohérents de là où je suis, augmentent ma nausée. J'arrête de regarder.
L'écho des annonces en français et anglais par les haut-parleurs à l'accent italien répond de loin en loin à la violence des vagues sur la coque. J'ai souvent l'impression qu'on vient de heurter un objet solide, un iceberg peut-être, mais en automne en Méditerrannée...
Tous les signaux extérieurs reçus par mes yeux et mes oreilles, la peur sourde et millénaire d'être au milieu de l'eau sont démentis par par le rythme régulier des respirations dans la cabine.
J'ai fini un livre il y a trois jours, Madrapour de Robert Merle. Je l'avais commencé au hasard, uniquement attiré par mes lectures de Malevil et de La Mort Est Mon Métier que j'avais adorés, autant pourla forme que pour le fond. Je n'ai cependant pas adhéré au style du Robert Merle de Madrapour, ampoulé et répétitif. Je n'ai pas non plus particulièrement apprécié l'intrigue, un peu lente, avec des invraisemblances. Et pourtant, je l'ai lu jusqu'au bout.
Madrapour est la destination des quinze passagers d'un charter. Rapidement ils réalisent que l'avion n'a pas de pilote à son bord et qu'il est guidé depuis le Sol qui les écoute, les observe, les manipule... S'ensuit un huis clos où l'auteur semble se faire plaisir à opposer les différents caractères, passés au révélateur de situations de crise.
Il est probable que la symbolique de l'histoire et des personnages ait été reléguée au second plan de mon intérêt par l'écriture un peu trop datée à mon goût (sortie de Madrapour en 1976), mais quoiqu'il en soit, en fermant ce livre, je ne pensais pas y revenir de sitôt.
Et pourtant...
Là, dans la cabine du ferry qui relie Toulon à Ajaccio, quelques millimètres de métal et de verre m'isolant du monde dont ne me parviennent que des échos assourdis et incomplets, je me sens plus que jamais petit, faible et le jouet du destin. Et je repense à Madrapour, et je ressens enfin de l'empathie pour les personnages, bien après la fin du livre. Et je repense à Barthes, encore et toujours, et au couple livre-lecteur, et à l'importance aussi du moment de la lecture et de l'état d'esprit du lecteur. Rien de neuf depuis novembre 2009 et un post sur Charlie Winston. Deux ans déjà, je vais aller réécouter Hobo, vérifier si la musique a changé avec moi...
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